Un Américain en F1 : le parcours atypique de Brett Lunger

Si les Etats-Unis figurent en haut du classement des pays ayant eu le plus grand nombre de représentants en Formule 1 (avec 156 pilotes, devant la Grande Bretagne avec 154), c’est en grande partie en raison de la présence des 500 Miles d’Indianapolis au calendrier F1 de 1950 à 1960.

En revanche, les pilotes ayant participé à une saison complète ne sont pas légion. Les plus assidus sont Eddie Cheever et Mario Andretti avec 132 et 128 départs respectivement. A la huitième place de ce classement avec ses 34 départs, Brett Lunger a été présent dans la catégorie reine du sport automobile de 1975 à 1978. Malgré cela, il reste un pilote peu connu du grand public, au sujet duquel plusieurs idées reçues continuent à perdurer.

Ainsi Robert Brett Lunger, né le 14 novembre 1945 à Wilmington (Delaware), est-il souvent présenté comme un richissime pilote venu se payer quelques saisons de F1 grâce à la fortune familiale.

Cette vision reste très réductrice. Si Brett fait bien partie de la famille DuPont, l’une des plus riches des Etats-Unis, il n’en est que l’un des membres de la sixième génération. De quoi lui permettre d’évoluer dans un milieu aisé, certes, mais pas au point non plus d’en faire le milliardaire que l’on nous présente souvent dans les biographies des encyclopédies F1.

La réalité est différente. Brett a été l’un des premiers pilotes à créer sa propre société (Competition Research & Development) afin de promouvoir sa carrière et de gérer les budgets apportés par ses sponsors. Le financement de ses saisons en F1 s’explique alors bien plus par le talent de Brett pour le marketing et la communication que par la fortune familiale.

Brett Lunger a un parcours atypique et si son palmarès en F1 reste modeste, son coup de volant ne peut être mis en doute. Lunger a au cours de sa carrière remporté des courses à haut-niveau, notamment dans les championnats américains et anglais de Formule 5000.

Venu au sport auto en 1966 dans le championnat Can-Am, Brett Lunger met fin à ses études de sciences politiques à la prestigieuse université de Princeton pour s’engager au Vietnam, où il servira dans le prestigieux corps des Marines.

Il part pour le Vietnam en 1968, au lendemain de la course Can-Am de Riverside. Sur sa période en Asie du Sud-Est, plusieurs légendes circulent également, notamment sur le fait que lors d’une mission, Lunger aurait sauvé l’héritier Chesterfield, qui le remerciera plus tard en le sponsorisant en F1… Info ou intox ?

Après son retour, Brett Lunger s’engage en F5000, sorte de précurseur du Champ Car, championnat monoplace de haut niveau disputé sur circuits routiers (par opposition au championnat USAC, disputé alors sur ovale exclusivement).

Brett engage sa propre écurie pour la saison 1971 et aligne une Lola T192. Il dispute une excellente saison et termine troisième du championnat avec une première victoire à Brainerd le 15 août 1971.

En 1972, il signe avec l’équipe de Carl Hogan pour le championnat de F5000. En parallèle, il fait ses débuts en Europe, en pilotant une March en F2. S’il décroche à nouveau la troisième place en F5000, avec cette fois deux victoires (Road Atlanta et Lime Rock, les deux fois devant Brian Redman), sa saison en Europe est plus délicate, avec une quatrième place à Mantorp Park comme meilleur résultat.


© Mark Windecker

En 1973, il dispute les championnats US (pour le compte de l’équipe de Dan Gurney) et Anglais de F5000. Il décroche plusieurs podiums dans le championnat nord-américain, mais aucune victoire. En Angleterre en revanche, il remporte deux beaux succès à Snetterton et Mallory Park.

C’est en 1975 qu’il fait enfin ses débuts en F1. Il est engagé par Lord Hesketh pour être l’équipier de James Hunt lors des trois derniers Grand Prix de l’année. Il fait ses débuts en Autriche et signe le dix-septième chrono en qualification (sur 29 engagés). En course, il termine treizième. C’est au GP des USA (dernière manche de l’année) qu’il signe sa prestation la plus convaincante. En course, son meilleur temps est plus rapide que celui de James Hunt. Malheureusement, sa prestation s’achève sur un accident.

L’Hesketh Ford 308 restera la meilleure voiture que Brett aura pilotée en F1. S’il avait eu la possibilité de commencer la saison plus tôt, il aurait sans doute été en mesure de marquer quelques points, ce qu’il ne parviendra jamais à faire les années suivantes avec du matériel dépassé.

En 1976, il rejoint l’équipe Surtees. Il ne connaît aucune réussite au volant d’une rétive monoplace que même son équipier Alan Jones, pourtant futur champion du monde, n’arrive pas à faire fonctionner correctement.

En 1977 et 1978, il change donc son fusil d’épaule et s’associe avec Bob Sparshott. L’équipe aligne d’abord une March, puis rachète une McLaren M23 plus de première jeunesse. Avec un tel matériel et des moyens limités, il n’y a pas de miracle et en toute logique les résultats ne suivent pas.

Une dernière course au volant d’une Ensign et Brett reprend le chemin des Etats-Unis. Ses meilleurs résultats resteront donc une septième place en course (Belgique 1978) et une treizième en qualification (Brésil 1978).

De son passage en F1, l’histoire retient surtout son rôle dans l’accident de Niki Lauda en 1976 sur le circuit du Nurburgring. Avec Arturo Merzario, Harald Ertl et Guy Edwards, Lunger fait en effet partie des courageux pilotes qui n’hésitèrent pas à se porter au secours du pilote autrichien coincé dans l’habitacle de sa Ferrari en flammes. Juché sur la Ferrari, Lunger parvint à tirer Lauda hors de l’habitacle après que Merzario ait réussi à dégrafer le harnais de l’Autrichien. Il recevra quelques semaines plus tard un petit trophée de la part de Ferrari en remerciement de cet acte de bravoure.

De retour aux USA, Brett disputera encore quelques courses en Endurance, puis raccrochera son casque. Avec le recul, il est sans doute dommage qu’il ait eu tant de mal à se défaire de son image de playboy fortuné. Brett Lunger était indéniablement un pilote talentueux et son palmarès aurait mérité d’être plus étoffé.