Alan Labrosse, un géant parmi les grands

Alan Labrosse, un géant parmi les grands

Je dois avouer que le métier de chroniqueur, même si ce n’est pas mon travail principal, m’amène parfois à discuter avec des personnes exceptionnelles qui sont impliquées, de près ou de loin, dans la course automobile ; j’ai eu le privilège de m’entretenir dernièrement avec Alan Labrosse, une légende du sport motorisé québécois.

Pour faire une entrevue de qualité qui se tient, il est important d’être bien préparé. Dans la grande majorité des cas, la consultation d’une page Wikipédia du sujet traité est un bon point de départ. Cependant, je fus abasourdi de constater qu’Alan Labrosse ne possède aucune page Wikipédia, et ce malgré une feuille de route vraiment plus qu’impressionnante.

Avant de devenir agent

Peu de gens le savent, mais avant d’être agent de pilote ou même propriétaire de la défunte autodrome Saint-Eustache, Labrosse a été pilote de courses. Il a fait ses premiers pas dans la discipline à moto. De 1980 à 1985, il a démontré tout son talent sur deux roues en décrochant à plusieurs championnats canadiens. Il a été recrue de l’année en plus d’être champion de la série F1 équivalent aujourd’hui à la série moto GP.

En 1986, Labrosse fait le saut en course automobile. En formule 2000, il fut nommé recrue de l’année en terminant deuxième au championnat canadien, tout juste derrière Richard Spénard, mais devant Paul Tracy et Claude Bourbonnais. À L’hiver suivant, il participa au championnat britannique de F2000, ce qui lui a permis de se mesurer aux anciens pilotes de formule 1 Johnny Herbert et Eddie Irvine.  

Alan a eu la chance de côtoyer Gilles Villeneuve durant la partie « Moto » de sa carrière, même s’il n’ a eu que quelques contacts d’à peine quelques heures. Cette relation aurait pu mener Labrosse vers une grande carrière.  Lors du grand prix de formule un de Long Beach de 1982 en Californie, Gilles Villeneuve avait commandité Labrosse et lui avait payé ses pneus pour qu’il puisse prendre part à la course de moto présentée la même fin de semaine. Des contacts s’étaient alors établis avec Gaston Parent , l’agent de Villeneuve. Une relation qui aurait pu déboucher vers une carrière en Europe, mais qui ne s’est jamais concrétisée, suite au décès de Gilles quelques semaines plus tard. Suite à la disparation de la vedette québécoise de formule un, Parent abandonna le métier de représentant de pilote.

Le métier de gérant de pilote

La grande majorité des gens connaissent Alan Labrosse comme gérant de pilotes. Il est vrai que sa feuille de route est en bonne partie remplie par cette sphère d’activité. Comme vous le savez, il y a toujours un début à tout, le premier client de Labrosse fût Miguel Duhamel.  Nous y reviendrons plus loin.

En discutant avec Alan, la première chose qui m’a sautée aux yeux est que ce travail est ingrat. Ce rôle fait en sorte que tu es constamment assis sur un siège éjectable. Si, en partant, vous êtes du type inquiet, ce boulot n’est pas recommandé pour vous. Les échelons menant à la gloire, en course auto, sont longs et pénibles à gravir. Il arrive, que pour de bonnes ou de mauvaises raisons, qu’un pilote ait à faire des choix pour passer au prochain niveau, cela implique entre autre d’aboutir à la décision de se séparer de son agent.

Même si à première vue il y a beaucoup de similitudes entre représenter un joueur de hockey ou un pilote de course automobile, il reste qu’être représentant d’un fou du volant (ou du guidon selon le cas) est beaucoup plus exigeant. Le volet commercial, principalement la recherche de commandites, est devenu beaucoup plus ardu depuis le retrait des cigarettiers au début des années 2000. Durant les belles années, où la cigarette était partout en course auto, un bon pilote finissait par trouver un volant tout en ayant peu ou pas de soucis financiers.

Aujourd’hui, la « game » a énormément changé. La majorité des compétiteurs, à quelques exceptions près, doivent débourser pour être derrière un volant. Des conducteurs tels Ty Gibbs ou Lance Stroll n’ont pas à se sourcier du budget, ils embarquent dans leur monture en ayant comme seul stress de livrer la marchandise. Par contre, comme le mentionnait Labrosse, même si papa ou grand-papa est derrière toi, la pression de bien performer et de ne pas décevoir tes proches doit être énorme.

L’aventure Miguel Duhamel

Crédit Photo: Honda Racing

Je dois avouer que j’ai découvert les courses de moto dans les années 90, grâce à Duhamel. Sans vouloir ne rien enlever à la qualité de pilotes qui ont déferlé dans les dernières décennies au Québec, Miguel Duhamel est de la trempe des Villeneuve.

Dans le milieu des années 80 (je n’étais pas très vieux dans ce temps-là), alors qu’il était directeur général de la piste de Shannonville, Labrosse avait remarqué le talent de Duhamel qui participait à une épreuve de moto de la série nationale « Race ». En décembre 1988, Alan Labrosse est devenu officiellement l’agent de Duhamel. Il a d’ailleurs rempli ce rôle pour l’ensemble de la carrière du plus grand casse-cou en moto de l’histoire du Québec.

Plusieurs amateurs, dont je fais partie, se posent la question: comment se fait-il que Miguel n’ait pas été une plus grande vedette que cela au Québec ? Labrosse a plusieurs théories à ce sujet :

« La plupart du temps, quand on parle de motos, ce n’est pas pour les bonnes raisons, on en attend parler beaucoup parce que c’est dangereux, parce que c’est relié au milieu criminalisé. Les médias couvrent très peu la discipline, il faut dire le Canadien prend toute la place. Je pense que si Miguel avait été plus chanceux et avait décroché quelques victoires en 1992, en Europe, quand il était en moto GP, les médias d’ici se seraient intéressées à lui. Il faut dire, qu’à cette époque, que la couverture journalistique et relation publique n’étaient pas là »

Fils de Yvon Duhamel (légende de la course de moto au Québec) , Miguel a un palmarès impressionnant. Il remporte, en 1990, sa première victoire dans la série américaine « Superbike » tout en étant nommé recrue de l’année. Il est le pilote de toute l’histoire de l’AMA à avoir remporté le plus de victoires (86) en plus de huit championnats. Ajouté à cela qu’il est le seul à avoir gagné cinq fois à Daytona.

Même s’il est dans la jeune cinquantaine, Miguel a dernièrement reçu une offre pour participer de nouveau à la course de Daytona. Une proposition qu’il a sagement déclinée, selon Labrosse. Né le 26 mai 1968 à Montréal, le guerrier du bitume habite maintenant la région de Las Vegas au Nevada et profite pleinement de la vie. Selon Alan, il est en bonne santé et pratique régulièrement le golf et le vélo de route.

Il est évident qu’une si longue carrière en moto aura laissé des traces au niveau physique. Entre autre, Duhamel a eu trois fractures du fémur.

Une relation privilégiée avec Carpentier

J’ai constaté en discutant avec Alan Labrosse que le respect qu’il a envers Patrick Carpentier est énorme. J’avais l’impression d’entendre un père parler de son fils. Même si la relation d’affaires entre les deux hommes a été entrecoupée de plusieurs années, le lien qui les unit semble particulier.

L’association avec Carpentier s’est déroulée en deux temps. De 1992 à 1994, plusieurs se rappelleront entre autres la voiture blanche au couleur Ethnic/AD durant cette période. Durant la saison 1994, Patrick a pris part à 13 épreuves de formule atlantique, il remporta une victoire en plus de cinq podiums, sept « tops 5 » et neuf « tops 10 ». En 1995, il joint les rangs de Lynx Racing, propriété de Peggy Haas. Cependant, ce premier volant à temps plein dans une série de développement de haut niveau amena Patrick Carpentier à devoir mettre fin à sa relation avec son agent Alan Labrosse. La saison 1995 fut très prolifique pour le pilote originaire de LaSalle, puisqu’il signa quatre positions de tête en plus de deux victoires et neuf tops 10.

L’année 1996 fût exceptionnelle et amena la carrière de Carpentier à une autre étape. En rapportant neuf courses en douze départs (avec 8 victoires lors des 8 dernières courses avec à chaque fois une position de tête), il ré-écrit le livre de record de la série atlantique.

Par la suite, vous connaissez l’histoire, Carpentier fait le saut en série Cart en 1997 au volant de la voiture aux couleurs de Alumax de l’écurie de Tony Bettenhausen. Carpentier réussit quand même, cette année-là, à tirer son épingle du jeu assez pour que la saison suivante, il fasse le saut chez Player’s/Forsythe, en devenant le co-équipier du défunt Greg Moore.

La seconde association entre Labrosse et Carpentier s’est concrétisée pendant la présentation du grand-prix de Formule 1 de Montréal en 2000.  Patrick était présent cette fin de semaine là dans la métropole québécoise en tant que représentant de Player’s, dans le but de faire de la promotion.  Avec le sentiment que la fin de son association approchait avec son équipe, Carpentier contacta Labrosse pour lui demander son aide. La rencontre a eu lieu un samedi après-midi, dans une buanderie sur la rue Sainte-Catherine, pendant que Carpentier faisait une brassée de linge.  Deux semaines plus tard, Alan Labrosse était à Chicago et avait été convoqué dans le bureau de la remorque de Gerry Forsythe qui ne semblait pas heureux de voir l’apparition de Labrosse dans le décor. La seconde association entre les deux hommes a duré de 2000 à 2004.  En 2005, Carpentier fait le saut en Indycar chez Eddy Cheever.

Ce que Labrosse a aimé le plus de son travail avec Carpentier et Duhamel est que les deux pilotes étaient des passionnés dévoués à leur discipline et qui étaient obsédés par la victoire. Grâce à son association avec eux, Labrosse avait bien rempli son bagage d’expérience pour savoir transporter un combattant vers les plus hauts sommets. Il est toujours en contact d’ailleurs avec eux.

La fin de l’autodrome Ste-Eustache et la relation avec le clan Lessard

Crédit Photo : Raymond Vigneault

Une grande majorité de personnes ont connu Alan Labrosse lorsqu’il était propriétaire de l’Autodrome Ste-Eustache. Les activités du complexe ont pris fin à l’automne 2019, Labrosse a été propriétaire de l’ASE de décembre 2007 jusqu’en juin 2020. C’est en 2018 qu’il conclut la vente de l’autodrome.

Avec du recul, le timing pour vendre Saint-Eustache était parfait. Quelques mois plus tard, après la présentation du dernier évènement, est survenue la pandémie que nous connaissons tous. De l’aveu même de Labrosse, il aurait été difficile de garder la piste de Saint-Eustache en vie pendant et même après la COVID.

Les discussions avec Raphaël Lessard ont débuté suite à une course de Late Model tenue à l’autodrome Ste-Eustache. Par la suite, Labrosse et Lessard sont partis en voyage à la deuxième course de la saison à Dover. Même s’il n’avait pas le titre officiel d’agent, Labrosse a travaillé avec les parents de Raphaël ainsi que son groupe d’investisseurs, d’octobre 2019 à octobre 2020.  Une période quand même difficile commercialement dans le contexte « coviedien », mais il est quand même très fier d’avoir aidé Raphaël à faire une saison complète chez Kyle Busch Motorsports en 2020.

Même si le clan Lessard est associé avec un agent aux États-Unis, Labrosse est convaincu qu’il aurait pu être un atout majeur pour permettre au jeune beauceron d’avoir une saison complète en 2021.  Lors de leur voyage à Dover en 2019, Alan a très rapidement perçu le potentiel de Lessard. Il considère que le jeune homme a tout pour réussir, il possède la psychologie, la confiance, la discipline et l’intelligence pour gravir les plus hauts sommets.

Prêt à passer à autre chose

Après autant d’années à baigner dans le milieu de la course automobile, j’ai senti en discutant avec Alan qu’il était prêt à passer à autre chose. La fin de son association avec Lessard en octobre 2020 a été, pour lui, un signal qu’il était temps, après une si belle carrière, de passer plus de temps avec ses proches. Quand l’aventure de l’autodrome s’est terminée, il a sauté de plain-pied dans la « chaloupe » de Raphaël Lessard.

Aujourd’hui, âgé de 60 ans, il passe plus de temps avec Chantal, sa femme, qu’il connaît depuis l’âge de 15 ans, maintenant ses priorités changent peu à peu et il goûte aux joies d’être un retraité en santé. Une nouvelle porte s’est ouverte et il a bien l’intention de regarder ce qui s’y cache dernière. De son aveu même, il sera toujours prêt à aider le clan Lessard, mais la direction que prend sa vie présentement fait en sorte qu’il y investira possiblement moins de temps. J’ajouterais ce commentaire personnel : « On peut sortir le gars des courses, mais pas les courses du gars », on verra avec le temps si j’ai raison ou non.

En conclusion

La liste de pilotes qui ont été représentés par Alan Labrosse est édifiante. Celle-ci comprend des noms bien connus tels que Miguel Duhamel, Pascal Picotte, Patrick Carpentier, Alexandre Tagliani et Andrew Ranger

Alan Labrosse a aussi été promoteur et producteur des courses Indycar présentées à Montréal  de 2004 à 2006. Il a été président des « Road Runner » de Montréal de la défunte ligue nationale de Roller Hockey.

Labrosse a zéro regret et s’il devait recommencer, il ferait pareil. Peu de Québécois ont gagné leur vie dans le domaine de la course auto. Il considère que pour avoir duré aussi longtemps dans ce domaine qu’il faut être un peu « Gambleur » tout en restant calme. Une grande partie de sa carrière aura été d’aider les autres. Sa vie a été le sport motorisé et aujourd’hui il considère avoir fait le tour du jardin.

Que les dieux bénissent les rois de la course et longue vie en santé à Alan Labrosse !

Cet article est écrit par François Richard du site 360Nitro.tv dans le cadre de la collaboration entre US-RACING.COM et 360Nitro.tv.