Si, en ce 1er décembre, beaucoup se concentrent sur l’ouverture de la première case de leur calendrier de l’Avent, le monde de la NASCAR pose plutôt son attention sur une autre ouverture, celle du procès qui oppose les 23XI Racing et Front Row Motorsports à la NASCAR.
Voici un petit résumé de ce qu’il faut savoir sur cet événement tant attendu.
Quelles sont les entités impliquées ?
À l’accusation, on retrouve deux équipes, la 23XI Racing et la Front Row Motorsports. Co-fondée en 2021 par Michael Jordan et Denny Hamlin, la 23XI Racing aligne cette année trois pilotes : Bubba Wallace, Tyler Reddick et Riley Herbst. Ce dernier a rejoint l’écurie en début de saison, si bien que ce sont les deux premiers cités qui sont responsables du palmarès de l’équipe, avec neuf victoires combinées, et une apparition dans le Final Four en 2024 pour Tyler Reddick. Quant à la Front Row Motorsports, elle aligne elle aussi trois pilotes en 2025, avec Todd Gilliland, Zane Smith et Noah Gragson. Fondée en 2005 par le magnat de la restauration rapide Bob Jenkins, elle n’a pas un palmarès aussi flamboyant que la 23XI Racing, avec seulement quatre victoires décrochées depuis sa création – dont, tout de même, les Daytona 500 2021 avec Michael McDowell. Elles sont représentées par Jeffrey Kessler, connu pour avoir gagné un procès contre la NCAA (football universitaire) à l’avantage des joueurs qui réclamaient de meilleurs revenus.
À la défense, dans le box des accusés, on retrouvera la NASCAR en elle-même. Fondée en 1948 par Bill France Sr, elle a été dirigée successivement par celui-ci, puis son fils Bill Jr, puis son petit-fils Brian jusqu’à l’arrestation de celui-ci en 2018 pour conduite sous l’empire de la drogue. Malgré cela, la famille France reste à ce jour propriétaire de la NASCAR avec Jim (le frère de Bill Jr.) et Lesa France Kennedy (la sœur de Brian) aux manettes. Aux postes de Président et Commissaire, on retrouve respectivement Steve O’Donnell et Steve Phelps. Leur avocat est bien connu de Jeffrey Kessler, puisqu’il s’agit de Chris Yates, qui défendait la NCAA dans le procès susmentionné. Récemment, il a défendu et gagné pour la MLB (Baseball) et l’US Soccer Federation, qui étaient elles aussi accusées de violations des lois antitrust.
Pourquoi ce procès a-t-il lieu ?
La 23XI Racing et la Front Row Motorsports accusent la NASCAR de violer les lois antitrust américaines, qui interdisent les pratiques anticoncurrentielles pour obtenir le monopole sur un marché défini – ici, le marché des Courses de Stock Car de Premier Plan (premier stock car racing).
Parmi les éléments qui nourrissent l’argumentaire de l’accusation, on retrouve l’apparition de la voiture Next Gen, présentée comme un moyen de faire économiser de l’argent aux équipes. Pourtant, celles-ci affirment que le coût par voiture a augmenté par rapport à la Gen 6 (qu’elles développaient et construisaient), pointant du doigt le fait que l’acquisition de certaines pièces ne peut se faire que via des fournisseurs uniques, agréés par la NASCAR. Les équipes déplorent également la perte de la Propriété Intellectuelle sur les voitures, puisqu’elles ne les conçoivent plus et ne font que suivre un plan d’assemblage à la manière de briques Lego.
De plus, la NASCAR est accusée de limiter l’utilisation des circuits qu’elle possède (17 dont 11 sont au calendrier de la Cup Series), ainsi que de ceux qu’elle ne possède pas mais avec qui elle possède un accord. Les équipes affirment ainsi que tous ces circuits doivent contractuellement demander l’accord de la NASCAR avant d’accueillir un championnat qui ne lui appartient pas.
Enfin, 23XI/FRM soulignent le contrôle quasi-total qu’aurait la NASCAR sur le sport automobile américain en rappelant qu’elle possède aussi l’ARCA (autre championnat de stock car), ainsi que l’IMSA, qui est le championnat nord-américain d’endurance.
Mais le véritable nœud du problème se situe ailleurs : le système de charters, dont les plaignants estiment que les revenus accordés aux équipes sont injustes.
Que sont les charters ?
Créés en 2016, les charters ont pour objectif de donner une valeur financières aux écuries autre que leurs possessions. Au nombre de 36, ils assurent aux équipes en possédant une place sur la grille de chaque course de la saison ; les équipes peuvent les vendre ou les louer à d’autres équipes, selon un montant défini par le marché, ce qui permet aux équipes de disposer d’un bien immatériel avec une certaine valeur qu’elles puissent revendre si les choses tournent mal pour elles. En plus de la place assurée à chaque course, chaque équipe disposant d’un charter se voit attribuer une rémunération fixe chaque saison, à laquelle s’ajoute un certain montant en fonction de ses performances récentes.
Ces dernières années, les charters ont pris de la valeur : par exemple, en 2018, la Spire Motorsports a acheté le charter de la défunte Furniture Row Racing pour six millions de dollars. En 2023, elle a dû débourser quarante millions de dollars pour acquérir celui de la Live Fast Motorsports. Cette montée de la valeur des charters est utilisées par la NASCAR pour montrer que le système fonctionne malgré les accusations des équipes.
Ces accusations, les voici : lors du renouvellement des charters pour la période 2025–2031, les écuries avaient deux volontés : celui d’augmenter la part des revenus TV qui leur était accordée, mais surtout celle d’obtenir des charters permanents, autrement dit des charters qui n’expireraient pas en 2031 et n’auraient pas besoin de nouvelles négociations entre les équipes et la NASCAR pour être prolongés. Si ce premier souhait a été accordé – les équipes bénéficiant désormais de 49% des revenus TV, alors que sous l’ancien accord, les circuits recevaient la plus grosse part du gâteau, celui sur les charters permanents renouvelables à la discrétion de leurs propriétaires seulement a été refusé.
Le 6 septembre 2024, voyant la grogne des équipes et l’impasse dans laquelle se trouvaient les négociations, la NASCAR a alors posé un ultimatum : les équipes avaient jusqu’au soir même, minuit pour signer l’accord qui leur était proposé. Si elles ne le signaient pas, elles perdaient leurs charters pour 2025 et au-delà. Deux équipes avaient alors refusé de signer et préféré porter plainte contre la NASCAR pour violation des lois antitrust : la 23XI Racing et la Front Row Motorsports.
Combien de temps le procès durera-t-il ?
Le procès devrait durer une dizaine de jours. Cependant, il est probable que peu importe le résultat, les appels fusent. On en entendra donc encore certainement parler en 2026, peut-être même au-delà.
Quelles sont les issues probables ?
Les équipes demandent surtout le paiement de leurs frais judiciaires, ainsi qu’une meilleure transparence de la NASCAR et le retour d’une « compétition juste » sur le marché des Courses de Stock Car de Premier Plan.
Si 23XI/FRM obtiennent gain de cause, le jury décidera du montant des dommages et intérêts à leur accorder – il peut être d’un dollar seulement. Quant au juge, ce sera à lui de décider quels seront les « remèdes » à la situation antitrust : cela pourrait être rendre les charters permanents, voire forcer la NASCAR à se débarrasser complètement du système, et/ou vendre des circuits, éliminer le système de fournisseur unique de la NextGen, etc.
Si la NASCAR prouve qu’elle n’a pas enfreint les lois antitrust, et est donc blanchie, la 23XI Racing et la Front Row Motorsports perdraient définitivement leurs charters, et pourraient rapidement fermer leurs portes. La NASCAR se retrouverait alors avec six charters à vendre à des écuries intéressées, et six pilotes, et des centaines d’employés, chercheraient alors refuge ailleurs.
Il ne faut pas oublier non plus qu’un accord amiable peut être trouvé n’importe quand pendant le procès : ses termes seraient alors déterminés par les deux parties sans intervention directe du tribunal. Cette option paraît toutefois la moins probable, comme expliqué par Denny Hamlin, co-propriétaire de la 23XI Racing, à Martinsville :
« Les deux parties ont confiance en leur dossier. Je pense que l’une d’entre nous est en mission suicide. »
