
Le procès antitrust qui oppose 23XI Racing et Front Row Motorsports à la NASCAR prend une tournure décisive. Neuf des treize équipes non-impliquées dans le litige ont officiellement pris position vendredi, réclamant un règlement immédiat avant le procès prévu pour le 1er décembre à Charlotte.
Dans un sport où les rivalités font partie du spectacle, voir Rick Hendrick, Roger Penske et Joe Gibbs s’aligner sur la même ligne n’arrive pas tous les jours. Pourtant, c’est exactement ce qui s’est produit vendredi dernier, lorsque neuf des treize équipes non-impliquées dans le procès antitrust ont déposé des déclarations signées auprès du tribunal de Charlotte. Leur message ? Ce procès doit se terminer, et vite.
Le gratin du stock-car prend la parole
Les déclarations accompagnent la requête en jugement sommaire déposée par la NASCAR dans cette affaire explosive qui oppose la série à 23XI Racing, l’écurie copropriétée par Michael Jordan et Denny Hamlin, ainsi qu’à Front Row Motorsports de Bob Jenkins. Parmi les signataires, on retrouve le Who’s Who du garage NASCAR : Rick Hendrick (Hendrick Motorsports), Roger Penske (Team Penske), Joe Gibbs (Joe Gibbs Racing), Richard Childress et Brad Keselowski.
Seules quatre équipes chartées n’ont pas participé à cette démarche : Trackhouse Racing, Spire Motorsports, Kaulig Racing et Haas Factory Team.
« Le dépôt d’aujourd’hui démontre que le système de charter de la NASCAR bénéficie du soutien de toutes les équipes de course et que le procès intenté par 23XI Racing et Front Row Motorsports ne sert pas l’intérêt du sport », a déclaré la NASCAR dans un communiqué. « Ce procès ne porte pas sur la concurrence ; il s’agit simplement d’une tentative de renégocier un accord signé et respecté par toutes les autres équipes. »
Jeffrey Kessler contre-attaque
Mais Jeffrey Kessler, l’avocat vedette qui représente les deux équipes plaignantes et qui a notamment orchestré le procès House v. NCAA, voit les choses différemment. Pour lui, ces déclarations renforcent paradoxalement la position de ses clients.
« Ils soutiennent les charters parce que les équipes ne peuvent pas survivre sans elles », a expliqué Kessler. « Les déclarations des propriétaires et dirigeants d’équipes reconnaissent cette même réalité économique. Elles n’excusent en rien le comportement anticoncurrentiel de NASCAR ni son monopole illégal, comme 23XI et Front Row l’ont soutenu depuis le début. »
L’avocat a également souligné que ses clients souhaitent trouver une solution, mais que NASCAR n’a pas encore démontré une volonté similaire de s’engager dans des négociations significatives.
Un juge qui n’y va pas par quatre chemins
En août dernier, le juge Kenneth D. Bell du tribunal de district américain a lancé un avertissement sans équivoque aux deux parties. Si les équipes l’emportent, la NASCAR sera « remodelée à jamais » – avec notamment d’éventuelles ventes forcées de circuits. Le juge a également prévenu que les charters « seraient différentes même si le système survivait ».
Ces mots ont visiblement fait leur effet dans le garage. Les charters fonctionnent comme des franchises dans les autres sports majeurs américains, garantissant stabilité financière et accès aux 36 courses à points de la Cup Series. Même 23XI a admis que sans la restitution de ses charters, l’équipe risque de disparaître en raison du gouffre financier que représente leur absence.
« La survie de notre sport est en jeu »
Les déclarations des propriétaires reflètent une anxiété palpable quant à l’avenir du stock-car.
« Le plus important pour moi est que ce procès soit résolu à l’amiable, rapidement et de manière à préserver le système de charters et la viabilité à long terme de notre incroyable sport », a écrit Joe Gibbs. « Cela est indispensable pour garantir la santé, le bonheur et la prospérité de nos centaines d’employés et de leurs familles. Rien ne compte plus pour moi. »
Rick Hendrick, dont l’organisation est la plus titrée de l’histoire NASCAR, a enfoncé le clou : « Annuler ce que nous avons négocié collectivement entraînera non seulement des dommages incommensurables à notre sport et à nos entreprises respectives, mais cela nuira surtout aux personnes et aux familles qui dépendent de nous pour leur subsistance. »
Roger Penske, lui, a révélé qu’il avait transposé le concept de charter NASCAR à l’IndyCar – dont il est propriétaire – en 2024, créant un système similaire inspiré de son expérience positive avec le modèle stock-car.
La Next Gen au cœur du débat économique
De manière surprenante, Penske a souligné que la Next Gen a permis de réduire les coûts « grâce à un nombre réduit de voitures dans la flotte et à un moindre volume de remplacement de pièces ». Une affirmation notable, puisque plusieurs propriétaires ont précédemment indiqué que la Next Gen n’avait pas généré les économies promises, voire qu’elle coûtait plus cher.
Cal Wells III, CEO du Legacy Motor Club, est allé encore plus loin en chiffrant la réduction des coûts de compétition en Cup Series « à environ 40 pour cent » grâce à la Next Gen.
Retour sur l’origine du conflit
23XI Racing et Front Row Motorsports ont intenté leur action conjointe à l’automne dernier après avoir refusé de signer la prolongation de l’accord de charter proposée par NASCAR et son CEO Jim France. Les deux équipes étaient les seules parmi les quinze structures chartées à rejeter l’accord de sept ans qui a pris effet cette année et court jusqu’à la saison 2031.
Leur grief principal ? NASCAR aurait imposé une offre « à prendre ou à laisser », menaçant d’éliminer purement et simplement le système de charter si les équipes n’acceptaient pas l’offre finale. Les équipes dénoncent également la façon dont NASCAR et la famille France – qui contrôle la série depuis sa fondation par Bill France Sr. juste après la Seconde Guerre mondiale – ont longtemps géré la ligue.
Les négociations, qui se sont étalées sur plus de deux ans, ont été menées par Curtis Polk, copropriétaire de 23XI et partenaire commercial de longue date de Michael Jordan. Polk a d’ailleurs été nommé comme défendeur dans la contre-poursuite de NASCAR.
Une attaque personnelle de la NASCAR
Dans son dépôt de vendredi, la NASCAR n’y est pas allée de main morte, visant directement Polk : « Ni la cupidité, ni l’ego blessé d’un individu par son incapacité à tenir certaines promesses faites à d’autres équipes ne justifient de tenter de détruire une institution que d’innombrables personnes, dont la famille France, les circuits, les propriétaires d’écuries et les pilotes, ont passé des décennies à développer. »
La NASCAR a conclu en affirmant que le procès « devrait être clos (comme le souhaite le garage) afin que l’on puisse se concentrer à nouveau sur des courses passionnantes en piste pour le reste de la saison 2025 et que l’on puisse commencer à planifier une saison 2026 charnière. »
Cap sur le 1er décembre
Kessler, quant à lui, reste confiant : « La nouvelle motion de la NASCAR ne change rien et nous avons hâte de présenter notre cas au procès le 1er décembre. Nous sommes convaincus que la requête en jugement sommaire de NASCAR ne sera pas retenue. »
L’avocat a réaffirmé que l’objectif du procès est de « rendre la NASCAR plus compétitive et plus équitable, au bénéfice des pilotes, des sponsors, des équipes et des fans passionnés de ce sport. »
Le système de charter garantit actuellement aux équipes chartées des revenus supplémentaires – près d’un tiers de plus que les équipes non-chartées – ainsi qu’un accès garanti aux 36 courses à points de la Cup Series. Reste à savoir si ce système survivra intact au procès prévu dans moins de deux mois à Charlotte.
Une chose est certaine : le paddock la NASCAR retient son souffle.