L’image d’un Michael Jordan hilare au tribunal n’est pas celle qu’on s’attendait à voir à l’approche de la finale de la Cup Series. Pourtant, c’est bien dans une salle d’audience de Charlotte que la tension entre la NASCAR et deux de ses équipes a pris un nouveau tournant. Après deux jours de médiation infructueuse, l’affaire antitrust opposant la NASCAR à la 23XI Racing de Jordan et Denny Hamlin, ainsi qu’à la Front Row Motorsports de Bob Jenkins, semble plus proche que jamais de déboucher sur un procès retentissant.
Tout a commencé il y a un an, lorsque 23XI Racing et Front Row Motorsports ont décidé de contester le modèle économique de la NASCAR, et plus particulièrement le système de chartes introduit en 2016. Ces licences, essentielles à la participation aux courses hebdomadaires et à la répartition des revenus, doivent expirer à la fin de la saison 2024. Les deux équipes refusent de signer les prolongations proposées, estimant que les nouvelles conditions accentuent la dépendance vis-à-vis de la NASCAR et menacent leur viabilité à long terme.
L’audience tenue jeudi à Charlotte a révélé l’ampleur du fossé entre les deux camps. D’un côté, la NASCAR plaide que 23XI et FRM cherchent à manipuler les autres équipes et se comportent comme un « cartel » déçu de ne pas obtenir davantage de revenus. De l’autre, les avocats de Jordan et Hamlin dénoncent un système monopolistique verrouillant tout accès équitable au championnat. Selon Jeffrey Kessler, représentant des deux équipes, la NASCAR « agit en tyran » et « préfère détourner l’attention des faits par des attaques personnelles ».
Les discussions se sont parfois transformées en véritable joute verbale. Lorsque les représentants de la NASCAR ont suggéré que les équipes pouvaient aisément s’investir en IndyCar ou en Formule 1, Michael Jordan a éclaté de rire, tout comme Denny Hamlin et Bob Jenkins. Kessler a d’ailleurs ironisé sur cette idée, comparant la situation à « un passage des ligues majeures aux ligues mineures », soulignant la différence abyssale de valeur médiatique et financière entre la Cup Series et l’IndyCar.
L’audience a également été marquée par une gaffe embarrassante du camp NASCAR : l’avocat Christopher Yates a écorché à plusieurs reprises le nom de Chip Ganassi en évoquant la vente de son équipe à Trackhouse Racing avant la saison 2021, affirmant à tort que cela lui avait permis de se « reconvertir » en IndyCar. Un argument aussitôt démonté par Kessler, rappelant que la Chip Ganassi Racing est, depuis plus de trente ans, l’une des puissances historiques de l’IndyCar, régulièrement engagée avec quatre voitures.
Si la tension est palpable, le ton de Jordan tranche avec la gravité de l’affaire. Le sextuple champion NBA, co-propriétaire de la 23XI Racing, a plusieurs fois esquissé un sourire moqueur face aux affirmations de la NASCAR, notamment lorsqu’il a été question du pourcentage de revenus reversé aux équipes, prétendument supérieur à celui de la Formule 1. Aucun mot n’a filtré de sa part à la sortie du tribunal, mais son attitude en dit long : Jordan semble prêt à aller jusqu’au bout.
Les chartes initialement accordées en 2016 ont déjà été prolongées une fois, jusqu’à fin 2024. Les deux équipes plaignantes souhaitent redéfinir en profondeur les règles du système, estimant que la valeur réelle générée par les sponsors, les droits TV et la vente de billets ne se reflète pas dans les revenus distribués. Selon leurs avocats, les dommages pourraient remonter jusqu’à la saison 2021, date à laquelle certaines clauses d’exclusivité auraient empêché les équipes de participer à d’autres compétitions proches du modèle stock-car.
Le juge fédéral Kenneth Bell, chargé de l’affaire, a salué la bonne foi des deux parties lors de la médiation de début de semaine, à laquelle participait également Jeffrey Mishkin, ancien vice-président exécutif et directeur juridique de la NBA. Malgré ces efforts, aucun terrain d’entente n’a été trouvé. Deux nouvelles audiences sont prévues en novembre, juste après la finale de la Cup Series à Phoenix, avant un procès désormais fixé au 1er décembre.
Cette affaire pourrait devenir un tournant majeur pour l’économie du sport automobile américain. En remettant en cause la mainmise de la NASCAR sur son système de licences, Jordan et Hamlin s’attaquent non seulement à un modèle financier mais aussi à une culture profondément enracinée. Si les équipes plaignantes obtiennent gain de cause, c’est tout l’équilibre du championnat — et peut-être l’avenir du sport professionnel sous la bannière NASCAR — qui pourrait être redéfini.
